Bâtir un plan de reprise.

Date :  

12/12/2023

Rédacteur :  

Mathieu DOMON | Créateur de Solutions

I. Tout a changé

Alors que chacun parle de passer dans un « monde d’après », il ne semble bien qu’aucun ne parle du même monde. Enfermés dans nos bulles de confinement, nous retournons à nos propres besoins, aspirations et craintes, parfois en oubliant ceux des autres, créant possiblement un monde encore plus clivé qu’auparavant. Par exemple, au niveau politique, certains demandent un moratoire sur l’application des nouvelles mesures environnementales à cause du choc économique qu’entraîne la pandémie[1] tandis que quasi en même temps, une quarantaine de députés proteste contre le manque de garantie pour le climat dans les aides accordées par le gouvernement[2].

Ne croyons pas que ces divisions sur notre situation et notre avenir s’arrêtent au niveau habituel des querelles politiques. Neurologiquement, il suffit de trois semaines dans un nouveau contexte pour totalement renouveler nos habitudes. On peut donc déjà dire que les veilles routines de l’atelier ou du bureau sont mortes. A l’atelier, les obligations de distanciation pour limiter la contamination ont changé les sociabilités de chaque instant. La priorité de la rentabilité est passée en-dessous de celle de la protection car il en va de la responsabilité pénale de l’employeur. Au bureau, le télétravail a rendu du temps aux employés qui en bénéficiaient tout en accroissant leurs contraintes domestiques.

Enfin que dire de ceux qui nettoient, livrent, assistent, surveillent ou soignent, de tous ces métiers de services, souvent si peu valorisés et qui sont apparus comme autant de fonctions vitales pour la continuité du fonctionnement de notre société et notre propre existence ? Leur place sera-t-elle la même… après ?

A tous les niveaux de notre société, les organisations et en premier lieu les entreprises doivent prendre en compte un avenir totalement inconnu avec une pandémie, dont la fin n’est pas en vue, dans un contexte économique qui se dégrade de jour en jour. Entre clients et fournisseurs des questions centrales se posent : Est-ce que l’offre est toujours là ? Est-ce que la demande est toujours la même ?

Les repères semblent perdus et chacun se sent obligé d’en imaginer d’autres, mais sans travail commun, aboutirons-nous aux mêmes ?

II. Réviser le cadre stratégique et tactique, faire évoluer la raison d’être, les missions et les services

Dans un tel contexte, repartir du même pied comme si de rien n’était, équivaudrait à aller à la plage en maillot de bain pour le réveillon de Noël. Il est urgent de considérer la météo et les possibilités de notre garde-robe. Quelle que soit notre position dans les organisations dans lesquelles nous évoluons, il serait bien de profiter de ce moment de pause pour réfléchir à notre situation et considérer au moins deux questions : Avons-nous changés ? Notre environnement a-t-il changé ?

Dans l’affirmative pour au moins une des deux questions, alors il devient nécessaire de reconsidérer notre positionnement et notre trajectoire. Ce que nous faisions est-il toujours adapté à nos buts ? Faut-il changer d’objectifs parce que nous n’avons plus les moyens de les atteindre ? Faut-il changer de moyens parce que les conditions ont changé ? Peut-être les deux à la fois…

Il est possible de considérer cela comme une véritable difficulté, mais chaque problème cache un trésor nommé opportunité.  Peut-être avions-nous d’autres d’aspirations que l’ancienne situation empêchait et que ce grand chamboulement libère ? Peut-être que ces objectifs étaient déjà ardus et que les difficultés actuelles les rendent tout simplement inatteignables ? Alors pourquoi s’épuiser en vain ?

De façon pressante, il faut donc se poser et reconsidérer le cadre stratégique et tactique de notre action, de revalider ou de faire évoluer notre raison d’être et en conséquence, les missions et services que nous portons. Cela tombe bien, nous allons encore être confinés ou semi-confinés pour encore quelques temps. Pour le moment, le rythme semble s’être ralenti, mais n’en doutons pas qu’il va de nouveau accélérer lorsque le système économique mondial va se réajuster aux nouvelles réalités.

III. Réaligner la stratégie afin de donner du sens et rétablir la confiance

Une fois que notre stratégie est revalidée, la tâche logique suivante est de mobiliser nos équipes en leur expliquant la nouvelle situation et la nouvelle stratégie, ce qui est encore plus facile si ce travail a pu être effectué avec leur participation. Plus le plan exposé collera aux constats de la réalité de nos organisations et plus il fera sens.  De même, plus les objectifs poursuivis seront partagés par les équipes, plus elles seront motivées à les mettre en œuvre.

Dans le monde d’hier, il était déjà difficile de motiver tout le monde avec l’argent comme seule rétribution, mais dans un monde économique en contraction, cela va devenir encore plus difficile de partager une marge qui disparait. Pourtant est-ce vraiment l’argent qui nous motive ou plutôt le sens qu’il peut nous apporter ? Mais s’il était possible de donner du sens autrement que par le seul bénéfice économique atteint ? Si nos objectifs pouvaient avoir un sens directement accessible aux équipes et à nous-même ? Ne serait-ce pas là un formidable moyen de se réunir et de travailler ensemble à de nouveaux projets ?

IV. Remobiliser les équipes en boostant l’intelligence collective

L’exécution opérationnelle est toujours la clé du succès. Rien ne serait pire que de faire rêver les gens pour les faire échouer, tous ensemble, avec une tactique mal-adaptée. Autre constat, personne ne connait mieux une tâche que celui qui l’accomplit, donc pourquoi ne pas miser sur l’intelligence collective de ceux qui font et de ceux qui les soutiennent pour trouver le meilleur chemin ? Quoi de plus stimulant et solide qu’une action déterminée en commun ? Quoi de plus original et de plus efficace, que de solliciter les propositions qui auraient pu autrefois être jugées farfelues pour faire autrement dans un monde qui change constamment sous nos yeux ? Le pire risque serait de rester enchainé à de vieilles certitudes par peur du changement. Si nous n’avons pas la meilleure idée, quelqu’un d’autre, ailleurs, l’aura…

Dans un tel monde en mutation, il est aussi important de s’assurer de la qualité de son interface avec le monde extérieur (fonctions commerciales ou d’échange avec les administrés) afin de mieux détecter les opportunités, anciennes et nouvelles, et de hiérarchiser les priorités. Des informations factuelles permettent non seulement d’estimer la source des valeurs produites mais aussi les chances que l’action aboutisse. Trop souvent tournées vers des problématiques internes, les organisations oublient d’écouter leurs clients, leurs usagers, leurs administrés mais aussi leurs fournisseurs et partenaires. Les ressources qui nous restent sont là. Grâce à l’écoute active, à la curiosité, à des questionnements adaptés, à l’encouragement à voir les choses autrement et à l’intégration des enjeux extra-financiers, de nouvelles opportunités vont émerger et amener les organisations à évoluer, se diversifier, voire à transformer leur modèle, pour développer de nouvelles sources de valeurs. Au minimum, les organisations qui feront cet effort d’attention gagneront déjà le respect de leurs partenaires habituels, clients, usagers ou administrés. Dans une époque difficile où ne pas perdre, c’est déjà gagner. C’est un atout majeur à ne pas négliger.

Enfin, la structuration de cette initiative devrait se faire en priorité autour de principes d’action plutôt que sur la pérennisation de savoir-faire, car ceux-ci pourraient, encore plus vite qu’autrefois, se révéler obsolètes. Le risque ici est que la préservation de ces pratiques ne devienne des fins en soi plutôt que de simples moyens d’atteindre un objectif, fossilisant littéralement l’organisation sur son ancien positionnement.

V. Réviser les modalités et les outils de travail pour libérer les énergies et stimuler les initiatives

L’époque va être à la baisse des moyens et à la hausse des obstacles. Faire moins avec moins, tout le monde sait faire, mais réduire les effectifs en espérant que les survivants s’organiseront mieux d’eux-mêmes est une illusion tragique du management comptable. Il n’est pas toujours possible de garder tout le monde à bord. Toutefois si une petite partie de la force de travail n’est pas conservée pour réfléchir et mettre en place des moyens d’être plus efficace, par les pratiques, l’organisation ou les technologies mises à disposition, la nouvelle organisation ne saura pas mieux faire face et sera confrontée à une lente agonie accompagnée de son lot de burn-out, démobilisations, prises de risques inconsidérées pour tenter de joindre les deux bouts et autres stratégies de contournement et de déni, diluant au final le sens de l’action.

La seule réponse viable est de profiter de l’exercice de questionnement pour passer en revue les outils en place et de vérifier si d’autres façons de faire ne fonctionneraient pas mieux. Cela commence par vérifier si le télétravail ne pourrait pas s’articuler dans un nouveau système comme un véritable potentiel de gain, car l’humain est doté d’une capacité d’adaptation qui a fait son succès depuis des millénaires. Travailler sur les modes de management, c’est aussi possiblement transformer les façons de faire et libérer les énergies pour créer de la valeur intrinsèque. Au cours des siècles, les modes de fonctionnement de notre société ont petit à petit oublié de protéger, préserver et valoriser les ressources naturelles ainsi que la place de l’humain.  L’environnement, le climat et les enjeux sociétaux sont devenus des thèmes incontournables qui doivent passer d’un affichage « vitrine » à des actions concrètes, valorisables et valorisées. En effet, contribuer à faire grandir la société humaine, développer les actions solidaires permettent aussi de produire de la valeur et du sens en concentrant son action sur la combinaison spécifique d’éléments répondant à la fois à la satisfaction client et à la responsabilité environnementale et sociale.

VI. Actualiser les priorités en simplifiant les processus afin d’être plus agile

Avons-nous vraiment besoin de toute cette hiérarchie, de toute cette bureaucratie et de toutes ces vieilles habitudes paperassières que des années plus prospères ont laissé s’accumuler ? La révision des priorités entraine fatalement la révision des processus et rien ne serait pire que de tenter d’atteindre un nouvel objectif avec d’anciens outils sous prétexte qu’on a que ceux-là sous la main. Faisons l’effort de penser aussi les moyens de nos ambitions sans forcément dépenser beaucoup d’argent mais avec beaucoup de courage pour affronter le changement, il sera possible de créer une cohérence plus efficace.

La mise en place de processus bienveillants doit aussi permettre de contribuer à faire grandir ses clients et ses fournisseurs. La quête de sens et de confiance nécessite de développer des processus qui apportent une pleine transparence aux échanges par exemple en clarifiant les politiques d’achats, en revoyant les délais de paiement aux réalités des partenaires et en mettant fin aux injonctions contradictoires. Il ne s’agit pas d’être naïf dans le monde des affaires, mais de conserver pour soi le coût du contrôle de la confiance au lieu de le transférer automatiquement chez les parties les plus faibles dans la négociation, car ce qui est économisé en argent peut être perdu en loyauté et en engagement, ce qui aura aussi un coût, parfois payable au prix fort et au pire moment.

Dans un monde où les aspirations évoluent très vite et aux soubresauts de plus en plus imprévisibles, la faculté à s’adapter et à prendre en compte les valeurs fondamentales des parties prenantes permettra de générer de la valeur grâce à plus de résilience et d’efficience.

VII. Sélectionner les opportunités pour identifier de nouvelles sources de valeurs.

Si l’organisation a veillé à préserver ses moyens d’action (savoir-faire, personnel, trésorerie…), elle reste capable de saisir des opportunités. Selon le modèle de Michael Porter[3], le gourou de la stratégie d’entreprise de la fin du XXème siècle, dont l’influence est encore prégnante, il existerait cinq forces s’exerçant de façon spécifique sur les entreprises d’un secteur économique donné.

  • L’intensité de la rivalité entre les concurrents
  • Le pouvoir de négociation des clients
  • Le pouvoir de négociation des fournisseurs
  • La menace d’entrants potentiels sur le marché
  • La menace des produits de substitution

Si nous entrons dans une nouvelle époque économique, il faut faire attention à ce que cette analyse qui structure de façon sous-jacente, et le plus souvent inconsciente nos réflexions, soit toujours d’actualité. Car s’il est peu probable que tant qu’il y aura des échanges, les cinq forces de Porter disparaissent, il est possible que dans un monde de plus en plus contraint, de nouvelles forces s’exercent :

  • Tout d’abord, à l’époque du néolibéralisme américain, il était assez logique que l’influence des pouvoirs publics ait été réduite à portion congrue. Toutefois la pandémie a une nouvelle fois démontré le besoin réel d’une organisation au-dessus des entreprises pour organiser le marché économique afin de garantir l’atteinte d’objectifs autres que purement économiques, comme la sécurité sanitaire, par exemple. Ne pas tenir compte de ce retour en force de ce cadre le plus souvent légal, serait une dangereuse prise de risque pour la responsabilité pénale, si ce n’est morale, mais à l’inverse l’anticiper, l’accompagner voir le susciter peut être source d’opportunités, sinon il n’y aurait pas autant de lobbyistes à Bruxelles…
  • Dans ses dernier écrits, Michael Porter ajoute lui-même une nouvelle force, celle des compléments. C’est-à-dire des partenaires qui concourent, plus ou moins en coopération à faire évoluer le marché, par exemple : tandis que les éditeurs de logiciels développent des logiciels demandant toujours plus puissance, les constructeurs de hardware leur offrent toujours plus de puissance pour leurs logiciels. Dans un monde plus contraint, il existe peut-être autour de nous des partenaires qui pourraient faire avancer notre propre cause, par exemple en partageant l’accès à des clients communs. Le pire risque, si nous ne sommes pas aptes à détecter ces partenariats les premiers, ne serait-il pas qu’ils partagent leur destin avec nos propres concurrents ?
  • Une autre critique actuelle qui pourrait être portée à l’encontre du modèle Porter, mais aussi plus largement à une grande part des études économiques, c’est de réduire les activités humaines aux purs échanges marchands. Actuellement, la marge correspond à la différence entre la valeur donnée aux produits/services et les coûts liés à leur création jusqu’à la mise sur le marché. Cette description ne prend pas en compte les aspects sociétaux et environnementaux comme la limitation de nos ressources naturelles, l’impact de nos activités anthropiques et les risques qu’ils engendrent. Il néglige aussi l’importance de la réputation dans un monde à la fois hyperconnecté et hyper-fragile, celle de l’accès aux ressources non-naturelles comme des infrastructures fiables et disponibles ou même à la bonne volonté des compétences (cf. le manifeste étudiant pour un réveil écologique[4]).

Dépasser les vieux modèles pour introduire ces nouvelles notions dans l’analyse de la valeur permet de prendre en compte la réalité qui entoure l’entreprise ou la collectivité avec un impact minimal pour autrui et éviter autant que possible de participer à la préemption de l’avenir aux générations futures.

Il se dégage alors trois gisements d’opportunités à développer :

  • Le patrimoine humain
  • La préservation du patrimoine naturel
  • La valeur intrinsèque des organisations

Ces gisements combinés ensembles représentent une source de nouvelles productions de valeur.

VIII. Pour Conclure

Rien de nouveau sous le soleil, la réussite restera toujours liée au bon équilibre entre maitrise des points forts et une capacité à se réinventer. Mais dans un monde en mutation rapide, il est fort possible que cet équilibre ne glisse de plus en plus vers une obligation à se réinventer à chaque instant en tenant compte des nouveaux risques d’instabilité, de contraintes sur les ressources et sur leurs conditions d’emploi. C’est beaucoup pour une organisation qui doit déjà consacrer son énergie à assurer correctement ses missions les plus basiques. C’est pourquoi il sera nécessaire de revoir les indicateurs d’évaluation de la performance économique, de parier sur le long terme, de travailler sur soi pour sortir de notre zone de confort et devenir plus capables de travailler avec courage sur nos dénis. Les organisations qui sauront créer du sens, se donneront les moyens de pérenniser leur performance et par conséquence leur utilité.

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